Charleroi – Cape Town : nous l’avons fait !
Réveil plus matinal que jamais ce matin : 4 heures. L’objectif est de rejoindre Cape Town pour 11 heures, et plus précisément l’aérodrome de Stellenbosch qui accueille l’aviation générale au cœur des vignes à quelques nautiques seulement de la fameuse Table Mountain. La veille, j’avais été horrifié de voir qu’il ne restait presque plus d’huile dans le réservoir de notre Stampe à l’issue de ce vol difficile à travers des hauts sommets qui pointent à plus de 8.500 pieds. Et notre problème de fuite d’huile s’est aggravé ces derniers jours…
Les turbulences nous avaient obligés à maintenir une puissance élevée pendant la quasi totalité du vol qui avait duré plus de 3 heures. Il reste 240 nautiques à parcourir, et les prévisions météo annoncent une composante de vent de face de l’ordre de 10 à 15 noeuds sur l’entièreté du parcours entre Plettenberg Bay et Stellenbosch. Vu notre consommation d’huile, nous décidons de scinder ce dernier vol en deux segments, ce qui nous permettra de refaire un appoint d’huile en chemin. Décision est donc prise de se poser à Swellendam, petit aérodrome situé environ à mi-chemin. Ceux qui en sont capables préfèrent rejoindre la destination finale d’une traite, sachant que chaque escale constitue un risque supplémentaire de faire un mauvais atterrissage et de rester coincé à cause d’un problème mécanique…
5 avions choisissent de faire escale à Swellendam : notre Stampe, le Travelair de Team Alaska, deux Tiger Moth d’Afrique du Sud qui nous ont rejoint au Botswana, et un petit avion plus moderne piloté par des amis des deux équipages des Tiger. Nous décollons un peu avant 7 heures du matin. Le soleil est derrière nous et la visibilité est parfaite. L’air est calme, nous volons le long de la côte à 1.500 pieds. Quel bonheur de voler à ces altitudes !!! Cela fait des semaines que nous volons à plus de 4.000 pieds à cause de l’élévation du terrain. Tout est tellement plus simple à basse altitude. Le moteur semble puissant, nous pouvons voler à régime plus confortable. Les commandes réagissent plus précisément. C’est un véritable vol de plaisance que nous partageons avec les autres équipages. L’un d’entre eux découvre pour la première fois des performances inespérées de son avion. Il vit à Johannesburg et n’a jamais eu l’occasion de voler en dessous de 4.000 pieds ! Il fait un peu frais, et ça fait du bien !!! Très beau vol d’environ 150 nautiques entre la côte et les premières montagnes des hauts plateaux.
Nous nous posons donc à Swellendam. Atterrissage facile malgré une piste plutôt étroite. L’Afrique du Sud est truffée de merveilleux petits terrains comme celui-ci, logés dans des décors absolument somptueux, où les taxes d’atterrissage n’existent pas et où le carburant est toujours disponible. C’est l’occasion pour nous de prendre quelques photos, l’endroit est tellement magnifique ! Le niveau d’huile de notre avion est raisonnable, je décide malgré tout d’ajouter encore un litre dans le réservoir afin d’assurer le coup pour notre tout dernier segment.
Il est maintenant 9h30, et il faut se remettre en route pour espérer rejoindre le Cap à 11 heures. Ce décollage a un goût un peu particulier. C’est le dernier, le tout dernier de ce voyage. En avançant la manette des gaz, j’ai une soudaine impression de ne faire plus qu’un avec notre avion. Il répond au doigt et à l’œil. Il accélère naturellement, en douceur et sans hésitation, je pousse les commandes vers l’avant, la queue se lève, la vitesse augmente facilement, le moteur ronronne, l’avion s’élève dans le ciel avec une grâce extraordinaire, j’ai l’impression qu’il sait. J’en ai des frissons. Quel compagnon de voyage formidable ! Quelle endurance, quelle force tranquille ! Il est mon ami pour la vie…
Nous naviguons vers cette destination dont nous avons tellement rêvé. Cinq avions, tout près les uns des autres. Personne ne parle sur la fréquence. On peut sentir que quelque chose de spécial est en train de se passer. Il reste un dernier col à passer avant de rejoindre la baie. Le vent s’est calmé, les turbulences semblent appartenir au passé. Nous montons à 2.500 pieds. Quelques montagnes devant nous cachent encore le spectacle qui nous attend dans quelques minutes…
Ça y est, nous franchissons ces derniers reliefs, et la voilà… La baie de Cape Town s’offre à nous comme un cadeau venu du ciel. C’est un spectacle magnifique. L’émotion est à son comble. Nous y sommes ! Nous y sommes ! Cape Town est devant nous, Table Mountain est là, juste à quelques minutes de vol. C’est la fin, nous y sommes arrivés. Nous avons de la peine à croire ce qui nous arrive. Nous passons sur la fréquence de Stellenbosch, et quelle surprise, tout le monde est là, tout le monde ! Même ceux qui avaient été retardés à Blue Mountain suite à l’incident survenu sur l’avion de Team Canada. Il est 11 heures, et tout le monde s’est plié en 4 pour arriver en même temps !!! C’est merveilleux, quelle émotion !!!!
Stellenbosch, magnifique petite piste en dur de 760 mètres située à quelque 300 pieds du niveau de la mer. Il y a un bon vent de travers sur la 19. Nous entrons en vent arrière en formation avec l’un des Tiger Moth piloté par Rodney et Ron. En fin de vent arrière, je leur fais signe de virer en étape de base, nous cassons la formation afin d’assurer un atterrissage confortable pour tout le monde. Approche un peu sportive, concentration maximale. Il ne s’agit pas de rater cet atterrissage, ce serait trop bête.
Et hop, c’est dans la poche. Nous sommes posés, tout est sous contrôle ! Nous taxions vers l’endroit où d’autres biplans sont déjà stationnés. Il y a un monde de fou ! Des centaines de personnes sont venues assister à l’arrivée de ce rallye extraordinaire ! Tout un espace est réservé aux biplans qui viennent de parcourir plus de 8.000 nautiques pour rejoindre la pointe Sud de ce continent majestueux. Nous arrêtons le moteur, et les journalistes et autres curieux et passionnés se jettent sur nous pour nous féliciter et pour recueillir nos impressions à chaud. Mais pour nous, la priorité, c’est d’aller féliciter les autres équipages qui, comme nous, ont accompli la mission jusqu’au bout. Et en premier lieu, Nick et Lita. Sans un seul mot, nous nous serrons longuement dans les bras. Impossible de retenir nos larmes. C’est plus fort que nous, l’émotion est trop vive. Nos larmes traduisent une immense joie, mais probablement aussi une grande tristesse, car l’aventure est terminée. Le but est atteint, et la vie normale va devoir reprendre son cours…
Nous sommes rapidement ramenés à la réalité par les organisateurs du rallye qui ont prévu, en guise de récompense, un vol historique autour de la baie en longeant Table Mountain jusqu’à la pointe du Cap de Bonne Espérance, avec un retour par l’aéroport international de Cape Town pour un passage à basse hauteur. Après quelques discours de remerciements et de félicitations, nous voilà repartis dans la file pour reprendre suffisamment d’essence pour assurer ce vol qui devrait durer environ 45 minutes. Les premiers moteurs se remettent en route, et bientôt, pas moins de 8 biplans, 4 avions de logistique et deux hélicoptères emportant les équipes de tournage se pressent au point d’attente de la piste 19 pour un départ synchronisé.
Et le miracle s’accomplit. Après 10 minutes de vol en direction de la côte, tous les avions se retrouvent. À gauche et à droite de nous, tous les biplans sont là ! Tout le monde est là !!! C’est la première fois depuis le début du rallye que tout le monde se retrouve en vol. Les plus rapides adaptent leur vitesse, et sans rien dire sur la fréquence, tout le monde se positionne pour que tous puissent savourer en même temps ce moment magique. L’émotion est tout simplement indescriptible.
À moins de 200 pieds au dessus de la mer, ce que nous vivons en ce moment précis semble irréel. Notre batterie nous lâche malheureusement après quelques minutes, si bien qu’il m’est impossible de communiquer avec Frog. De toute façon, il n’y a rien à dire. Il n’y a pas de mots assez forts pour décrire ce que nous sommes en train de vivre. C’est tout simplement magnifique. L’hélicoptère qui nous suit immortalise l’instant grâce à une caméra dernier cri montée sur une plateforme gyroscopique. Après les plages desquelles les baigneurs nous saluent, la pointe du Cap de Bonne Espérance, la traversée de la ville de Cape Town, nous arrivons aux abords de l’aéroport international où le trafic s’est tout simplement arrêté pour nous permettre de survoler la piste principale à quelques mètres de hauteur. Un avion de ligne est au point d’attente, nous arrivons à plusieurs en courte finale, les pilotes dans le cockpit de ce gros coucou (et les passagers qui étaient du bon côté des hublots) ont dû halluciner en nous voyant arriver !! Nous reprenons ensuite le cap de Stellenbosh pour un tout dernier atterrissage en douceur malgré le vent de travers.
C’est fini. Après 125 heures de vol depuis la Belgique, notre oiseau va enfin pouvoir se reposer avant d’être démonté et renvoyé par bateau à Anvers où Raymond le remontera pour le début de la belle saison. Nous avons l’immense privilège de pouvoir rentrer notre oiseau dans un hangar gracieusement mis à notre disposition par Jean-Michel et son épouse Michelle, un couple de Français absolument charmant qui nous avait contacté personnellement après être tombé sur notre blog. Nous voulons remercier tout particulièrement ce couple d’aviateurs passionnés dont la gentillesse et la générosité nous permettent de terminer l’aventure dans une grande sérénité.
Nous dédions notre arrivée à Raymond Cuypers et à Eddy De Poorter, de l’autorité belge de l’aviation civile, qui ont été deux soutiens majeurs pour nous dans cette aventure, depuis le début. Deux passionnés d’aviation comme nous et deux grands amoureux des Stampes. Merci à vous deux pour votre travail acharné dans ce projet fantastique.