Nous sommes au Soudan. Ce pays si méconnu et dont l’Histoire millénaire et la richesse culturelle incomparable restent injustement dans l’ombre de celles de l’Egypte. Ni tout à fait l’Afrique noire, ni plus vraiment l’Afrique du Nord, le Soudan, plus vaste pays d’Afrique, est un pays extrêmement accueillant. Ses habitants sont d’une gentillesse et d’une douceur infinie. Aucune agressivité, aucune rancoeur enfouie ici. C’est pour moi l’un des pays afro-arabes les plus passionnants, aux mille facettes. En discutant avec Carla, notre guide italienne, passionnée par ce pays, j’apprends que son agence de voyages fait venir environ 700 touristes par an dans cette région de la Nubie antique où nous passons deux nuits. Un chiffre dérisoire. On ne voit pas de touristes au Soudan. Avec ce rallye aérien, les autorités locales et même nationales, en contact étroit avec les organisateurs, espèrent changer l’image de leur pays en Europe et ailleurs, en faisant oublier le Darfour et les conflits liés au pétrole. C’est tout ce qu’on leur souhaite évidemment, même si, personnellement, je ne sais pas si c’est une bonne chose. Avec les touristes, arriveront ces “marchands du temple” qui vous harcèlent continuellement sur tous les sites antiques en Egypte. Ici, personne ne vous demande rien. On vous sourit, on vous souhaite la bienvenue, avec pudeur et authenticité, et puis on vous laisse tranquille. Les plus curieux et ceux qui parlent le mieux l’anglais vous approchent pour vous demander d’où vous venez et vous poser quelques questions, mais jamais sans essayer de vous vendre des breloques et autres souvenirs Made in China dans la minute qui suit. Et pourtant, les sites que nous avons visités à Karima, au niveau de la 4ème cataracte du Nil, sont tout aussi éblouissants que leurs cousins égyptiens. Voici les pyramides “noires” du Djebel Barkal, aussi anciennes que celles du Caire, mais méconnues, abandonnées. Le patrimoine de notre humanité à tous en danger.
Le Jebel Barkal, montagne sacrée des “pharaons noirs”, il y a des milliers d’années.
Pas un seul touriste sur ce site exceptionnel, sauf nous !
Si notre périple, largement médiatisé à présent, pouvait modestement contribuer à faire connaître ce pays si attachant, alors j’aurai atteint l’un de mes objectifs…
Nous sommes entrés au “Pays des Noirs” par le point NUBAR, point de report aéronautique pour tout pilote qui vient d’Abou Simbel, et qui se trouve sur la frontière géographique avec l’Egypte. On peut trouver ce point facilement sur l’application Air Nav Pro.
Du ciel, nous apercevons le poste-frontière à notre gauche, avec toutes sortes de camions et pick-ups à l’arrêt, et une ligne de barbelés qui s’enfonce au loin dans le désert.
Quelques tours en pisé le long de cette ligne de barbelés servent probablement de miradors mais paraissent dérisoires pour surveiller une frontière aussi vaste, en plein désert.
Notre Stampe a une bonne vitesse-sol, environ 80 noeuds. Nous sommes contents car 203 nautiques séparent notre aéroport de départ, Abou Simbel (HEBL), à Dongola (HSDN), premier aéroport douanier au Soudan après la frontière égyptienne et donc étape obligatoire pour la suite de notre voyage. Les côtes et les eaux cristallines de l’immense lac Nasser sont maintenant loin derrière nous, nous nous enfonçons en territoire inconnu. Nous n’avons plus de contrainte d’altitude à respecter comme en Egypte. Ici, plus de radar, plus de communications radio, plus de transpondeur, c’est là que commence la vraie liberté. On descend jusqu’à 200 pieds sol et on ferme la porte de la civilisation derrière nous. On entre dans un nouveau monde, un monde dépouillé qui nous semble surréaliste mais qui est pourtant bien réel. Nous croyons arriver sur la Lune mais c’est bien notre planète que nous survolons. Des kilomètres et des kilomètres de sable jaune et de formations rocheuses, certaines très noires, à notre gauche, à notre droite, devant et derrière nous. L’érosion a accompli un travail magnifique au fil des siècles.
On observant cette immensité où tout est ouvert, on comprend à quel point il est impossible pour ces pays de contrôler les allées et venues des passeurs et traficants en tout genre… nous voyons d’inombrables traces de pneus dans le sable. D’où viennent-elles, jusqu’où vont-elles?
Certains avions vintage volent ensemble, nous les avons encore en vue pendant un certain temps après le passage de la frontière soudanaise, puis nous perdons leur trace. Notre Stampe semble avancer plus vite que ses compères aujourd’hui. Il est avide de survoler la Haute Nubie ! Sans doute est-ce le fait que nous volons plus bas que les autres : nous avons manifestement plus de vent dans le dos à cette hauteur. Cédric et moi commençons donc cette traversée du désert nubien “en solitaire”. Nous filons à toute allure, au ras des dunes et des roches de gré noir. Plus on avance vers le Sud, plus le sable devient roux voire ocre. On est émerveillé par tant de beauté. On est seul au monde.
Tout à coup, nous apercevons le biplan de l’équipe du Botswana à nos 3 heures ! Un beau Tiger Moth dans les tons de gris argenté comme notre Stampe. Youpiiie, un compagnon de voyage ! On se dit qu’il est peut-être plus sage de voler à deux car le milieu que nous survolons est quand même particulièrement inhospitalier. On ne sait jamais… Brett, le pilote botswanais, et Cédric échangent donc quelques mots sur la fréquence air réservée aux pilotes et se mettent d’accord pour se rapprocher et se suivre de tout près. Pas toujours évident de comprendre l’accent de Brett, qui plus est avec une radio de qualité assez piètre, mais ça devrait fonctionner. C’est là que nos deux aviateurs libèrent tout leur talent et toute la maîtrise de leurs machines pour nous offrir l’un des plus beaux vols en formation rapprochée au-dessus du désert qu’il m’ait été permis de vivre jusqu’à présent.
Nous décidons de reprendre un peu d’altitude afin d’aérer notre moteur. Il ne faut pas oublier qu’il fait chaud, très chaud. Au bout de 2 heures de survol du désert, nous avons envie de voir le Nil. Non pas parce que nous nous lassons (contrairement à ce que l’on pourrait penser, le désert a une variété de paysages infinis), mais on ne peut se résoudre à passer à côté du survol d’un bout du Nil, plus long fleuve du monde et axe nourricier mythique qui traverse tout le Soudan. Le fleuve est bien à droite de notre route mais l’aéroport de Dongola (HSDN) se trouve sur le Nil donc Cédric m’assure qu’on perdra 4 minutes au maximum par rapport aux autres avions en déviant ainsi de notre trajectoire (nous avons rallumé la radio entre temps et nous entendons que leurs distances de Dongola sont bien supérieures à la notre) !
Après quelques minutes de vol en direction de l’ouest, c’est un paysage tout à fait différent qui se dévoile sous nos ailes. Le contraste avec le désert est brutal et saisissant. De notre cockpit, nous pouvons mesurer la formidable veine de vie que représente le Nil pour ce pays. Tout comme en Egypte d’ailleurs, mais ici la visibilité en vol est parfaite, pure, et ce que nous pouvons observer est merveilleux. La vie semble calme et paisible en bas. Les villages se succèdent. Peu ou pas de voitures, des maisons basses au toit plat, des palmiers-dattiers à perte de vue, des cultures de manguiers et de bananiers, et surtout, beaucoup, beaucoup de minarets… Je me demande si les gens entendent notre moteur, s’ils nous voient… On ne voit personne sortir, tout semble écrasé par la chaleur. Il est 15h, il fait beaucoup trop chaud.
Nous nous posons à Dongola. Très belle infrastructure aéroportuaire sur les bords du Nil.
Comme je l’écrivais plus haut, cette étape est obligatoire pour dédouaner (nous arrivons d’Egypte) et pour refueller. Il nous reste 90 nautiques à parcourir jusqu’à l’aéroport den Méroé (HSMR), en ligne directe, où nous sommes censés passer la nuit et celle d’après. Il faut absolument se poser avant le coucher du soleil. Une fois la nuit tombée, on ne voit plus rien au Soudan, c’est le noir complet, et puis de toute façon les avions du rallye ne sont pour la plupart pas équipés de phares d’atterrissage et de feux de position. Notre Stampe n’a rien en tout cas. Vintage jusqu’au bout ! Tout le monde y met du sien pour que cette escale technique se déroule sans encombres et le plus rapidement possible. Personne ne veut être coincé ici, car il n’y a absolument aucune infrastructure pour dormir, même si l’accueil du gouverneur local (un vieil homme en habit traditionnel qui tient à saluer chaque équipage en personne) et du personnel de l’aéroport est des plus chaleureux.
En effet, à peine les pieds posés sur le sol soudanais, on nous sert du thé, on nous apporte de l’eau en bouteille, des dattes, des cacahuètes et on nous propose des fruits de baobab à sucer (le goût est un peu amer et je n’ai pas retenu le nom). Incroyable mais vrai, nous arrivons à boucler visas, ravitaillement en huile et en essence pour une quinzaine d’avions (les vintage et les avions de support) en 1h30 ce qui nous donne peut-être tout juste la possibilité d’atteindre Méroé. On tente notre chance, il reste 90 nautiques et 1h15 avant le coucher du soleil.
Nous décidons de voler en formation très rapprochée avec plusieurs autres biplans du rallye entre Dongola et Méroé. Plus sûr pour Cédric et moi car certains ont des feux de position, pas nous. Même si nous n’en sommes qu’au début de l’aventure, ce vol restera un vol mythique pour nous tous. Imaginez le survol de dunes au coucher du soleil. On se croirait dans Le Patient Anglais d’Anthony Mingella. Nous avons même vu Pedro de Team Canada toucher le sable pendant deux secondes avec les roues de son Travelair ! J’ai cru qu’il allait atterrir. Les équipages commencent à se connaître, la confiance entre les pilotes commencent à s’installer. Vivement la suite.
Nous sommes arrivés à Merowe à la tombée de la nuit. Nous sommes tous épuisés mais heureux d’être là. Nous sommes accueillis dans le vaste terminal de l’aéroport avec du karkadé, une boisson traditionnelle de ces régions sahariennes (jus d’hibiscus), puis conduit en bus dans ce qui est probablement la plus exquise maison d’hôtes de tout le pays. La Nubian Rest House, tenue par une charmante italienne, est un ensemble clos d’adorables villas privatives surplombées de coupoles en brique et pisé et entourées de magnifiques massifs d’azalées, formant un cercle autour d’une pelouse digne d’un green de golf. L’endroit, situé en face de la montagne sacrée dite du Djebel Barkal, est d’une grande simplicité, au charme fou. Et la cuisine nubienne est absolument exquise. Un petit paradis soudanais que je vous invite à venir découvrir un jour, si vous le pouvez.
Aujourd’hui, nous avons quitté la Nubie pour rejoindre la capitale de ce pays immense, Khartoum (HSSS).
Nous survolons les pyramides noires du Jebel Barkal avant de prendre le cap vers le Sud. Elles paraissent encore plus fragiles vues du ciel.
Cette fois, c’est le désert de Bayuda que nous traversons, pour une infime partie bien sûr… Quand on vole dans un pays comme le Soudan, au-dessus de territoires aussi inhospitaliers pour l’homme, on prend la mesure de tout ce qu’on ne verra jamais. Et on se demande qui sur terre a – ou a eu – le privilège de voir ce que 99% de l’humanité ne verra jamais. Probablement les nomades. Bienheureux soient-ils, et qu’ils gardent le secret de ces beautés terrestres pour eux-mêmes.
Voici ce que nous aurons eu la chance de voir de cet immense désert de Bayuda, un paysage de dunes de sable, parsemé d’acacias et de baobabs, où le bleu et l’orange créent des images d’une photogénie extraordinaire. Voici les premières photos que nous avons pu télécharger….
Pour information, le désert de Bayuda se situe entre deux courbes du Nil, au nord de Khartoum.
L’arrivée sur Khartoum est assez difficile à supporter, l’aéroport est en plein centre-ville, nous arrivons à la pire heure de la journée, c’est une fournaise qui nous attend… Pas de QNH ni d’informations relatives au vent sur la piste donnés par le contrôleur aérien…
Demain, journée de repos, découverte de la confluence des Nils Blanc et Bleu en plein centre de Khartoum…avant d’attaquer mardi une très grosse journée de vol jusqu’en Ethiopie.